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nos passions ? Non ; si je doute dans l’ombre, quand je vois, je crois.

Je voulais te faire une description détaillée de ce domaine ; mais je m’égare sans cesse en toutes sortes de digressions. Les bois au bout du jardin, percés de belles allées et de jolis sentiers, d’un côté, montent jusqu’au sommet du plateau, de l’autre descendent jusqu’au bord du ravin, où le Malignon sort d’une fontaine. L’eau de cette source a tant de force, que, si l’on y jette de petites pierres, elles n’arrivent pas au fond ; elle remplit un grand réservoir ombragé de saules qui termine de ce côté l’enclos du jardin, et, s’échappant, court entre deux rives assez abruptes, que percent çà et là de gros rochers noirs, tout échevelés de ronces et de clématites. C’est le Malignon, ou plutôt, comme le nomment les paysans, le Malinet, petit Malin, parce qu’après de fortes pluies devenu le réservoir des deux grands plateaux qui le dominent, il s’enfle, écume et ravage ses bords. On dit aussi que cette fontaine fut creusée par le diable, selon une légende locale. Ce ruisseau est assez abondant pour faire tourner en tout temps la roue d’un vieux moulin jeté sur son cours, et qui se trouve à peu de distance de là.

À propos de ce moulin, il paraît que j’ai un rival dans ce pays même, Prosper Coulineau, le fils du meunier, un garçon qui a fait ses classes et qui se trouvera un jour, par les gains de son père et des héritages, à la tête, dit-on, de plus de deux cent mille francs. Heureusement que ma Blanche ne tient pas à la richesse. Il faut dire aussi que les préjugés bourgeois s’opposent