Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

QUINZIÈME LETTRE.

WILLIAM À GILBERT.

31 juillet.

Je suis bavard comme un amoureux, mon cher, c’est-à-dire que là-bas je ne cause guère ; je la regarde et l’écoute, ou je rêve à côté d’elle, chose délicieuse. Mais je ne suis pas plutôt seul ici, qu’incapable de dormir, je sens la démangeaison de parler d’elle avec toi.

Elle est si naïvement exaltée dans son amour, que j’en suis fier et tout attendri. Ce matin, fixant sur moi des yeux humides et rayonnants, elle m’a dit ; J’en serais morte ! Monsieur. — Se tromperait-elle elle-même ? Non, sa certitude vient d’une source plus profonde que l’expérience. Elle est un vrai rayon de foi qui rend à mon âme sa première jeunesse. Quand je la revis, le lendemain de mon explication avec tante Clotilde, elle semblait une fleur de mai au sortir de l’orage. Ses yeux cernés, son teint pâle, une langueur involontaire, témoignaient encore de la douleur qui l’avait brisée, et cependant à ma vue elle rayonna. Et j’allais venger sur cet ange le mal que m’a fait une âme vulgaire !… Hier, grâce à la tante Clotilde, nous sommes restés seuls. Je ne te raconterai pas notre entretien ; il fut trop plein de choses qui n’appartiennent qu’à nous ; mais les dernières inquiétudes de mon indépendance, les dernières protestations de ma sauvagerie s’y sont éteintes à jamais.