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toujours à l’occasion à de superbes amplifications de dévouement et de fraternité.

Tu veux que je sois utile aux autres, mon cher Gilbert ? et à quoi les autres sont-ils utiles ? Je te l’ai déjà dit, je n’en sais rien, et ils n’en savent pas davantage, si ce n’est qu’ils aiment à vivre. Qu’ils vivent, je le veux bien ; si l’un d’eux tombe à l’eau, je lui sauverai la vie avec le même plaisir que je donnerais l’aumône à un mendiant ; mais, à moins de me créer sauveteur public et de me planter, une médaillé au cou, le long des quais, je ne puis consacrer ma vie à ce hasard.

Sois donc tranquille, je ne songe pas au suicide ; si ça me vient, je t’avertirai. Laisse-moi réfléchir quelques jours encore au parti que je puis prendre. Je ne sortirai pas d’ici qu’une décision ne me soit venue. Tu vas me proposer une place dans tes bureaux. Non ? j’aime trop l’air du dehors et l’imprévu. Et puis, je n’ai pas assez de dévouement ; c’est à toi qu’il est réservé de te sacrifier à tes semblables en passant chef de bureau aux appointements de 6,000 francs. — Pardon, mon bon Gilbert, de plaisanter ainsi après le reproche que tu m’as fait et qui pourtant m’a atteint au cœur. J’ai en effet commis une étourderie impardonnable de te causer ces angoisses. Une autre fois, quand je me sentirai de méchante humeur, je relirai mes lettres. Sais-tu à quoi nous sommes utiles ? C’est à nous faire souffrir les uns les autres. Il y a là en effet de quoi prendre la vie en aversion.