Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trefois je te parlais. Blanche, je te l’ai dit, peu de mois après notre rupture, s’est mariée avec Prosper, non sans avoir désespéré dix fois le pauvre garçon, qui faillit en perdre la tête. La principale condition du mariage fut qu’on habiterait Paris ; et le voisinage du moulin et la familiarité des deux vieux parents sont en effet si désagréables pour Blanche, qu’elle ne vient ici que très-rarement. Est-elle heureuse ? Je ne le crois pas. Elle méprise son mari, qui est cependant un homme de cœur et dont le seul défaut est un caractère faible. Prosper commence à s’effrayer des prodigalités de sa femme. Ils ont à peine neuf mille francs de rente, et Blanche est devenue une femme à la mode, dans le cercle d’artistes qu’ils fréquentent. Elle a deux enfants, que sa femme de chambre élève. Le vieux meunier branle la tête d’un air soucieux quand il parle de sa bru et continue avec ardeur à tourner la roue de son moulin, à cause, dit-il, des petits-enfants, qui pourraient bien avoir besoin de ce grand-père, qu’ils ne connaissent pas.

Maman est comme toujours la plus aimable et la meilleure des mères. Clotilde est devenue moins expansive et plus réellement mélancolique. Elle raffole de notre enfant au point de souffrir quand elle s’en sépare, et je l’ai vue pleurer une fois, comme Andromaque, d’un jour passé sans le voir. La pauvre fille a manqué sa vie par esprit romanesque et faux jugement ; elle se trouve seule maintenant, sans lien assez sérieux avec ses semblables pour se sentir nécessaire et à sa place quelque part. Elle en souffre d’autant plus qu’elle est très-aimante, et que se dévouer est pour elle