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Te croyant riche alors, je laissais à ma veuve le peu que je possédais ; je léguais à Édith les diamants de ma mère, dont je ne voulais point que Blanche se parât. Édith en eût fondé son école ; je la priais seulement de garder une bague en mémoire de moi. Je n’avais pas été son frère ; mort, elle n’eût pas refusé de m’accepter pour amant, et m’eût chéri comme tel dans son âme.

Ne pouvais-je, diras-tu, m’expliquer franchement et rompre ? Mais à quoi bon ? Je perdais Édith ; mieux valait mourir. C’était bien peu courageux ; mais je souffrais tant ! Je me sentais incapable de rien faire d’utile sans elle ; je n’aurais pu que traîner ma vie dans le plus mortel ennui. Depuis que j’avais pris cette résolution, au contraire, j’étais calme, je souffrais moins. Elle m’aimait, je le savais ; nous nous retrouverions ; mais je n’avais pas le courage d’attendre ici, avec cet unique désir dans l’âme, qui des minutes me faisait des heures, et me rendait l’heure aussi longue qu’un jour. Bien sûr de la reconnaître ailleurs, je préférais me confier à cet oubli de la mort, qui endort nos douleurs et calme nos attentes.

Et cependant une réflexion depuis m’est venue qui m’a fait frémir : ça toujours été pour l’homme un problème que de savoir s’il a le droit de briser une existence qui lui pèse. Si la justice préside, et c’est ma croyance, à toute part qui nous échoit, l’impatient qui rejette sa tâche mérite-t-il d’aller plus loin ? n’est-il pas condamné sans doute à la reprendre ? pouvons-nous tromper cette loi des affinités qui marque notre place en tel lieu, à tel moment, d’après l’état où nous sommes ? Hélas ! par mon impatience et ma lâcheté, j’aurais pu m’éloigner d’elle