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personnages. Souvent, dans les banquets, aux vapeurs de minuit, ces types, sans cesse retrouvés, se dépouillaient à mes yeux de leurs variétés individuelles et m’apparaissaient plus accusés et plus grimaçants dans la hideuse nudité du caractère générique, semblables aux êtres fantastiques d’Holbein. Oui, partout des cercles pareils, où l’on s’agite en valses plus ou moins folles. Le cercle, une invention diabolique de Dieu, c’est la vie même, c’est-à-dire un leurre, un piège, une mystification. Nous contribuons à l’ornement de l’univers à la manière de ces poissons rouges qui font des lieues dans un bocal.

Je ne plaisante pas. Il n’y a, vois-tu, que des surfaces, bien vite traversées, et la fièvre de la jeunesse nous cache seule le néant de la vie. Comment les hommes mûrs font-ils pour vivre ? Je n’en sais rien. Ah ! ils ont aussi des fièvres à eux, l’ambition, l’avarice, la vanité, que sais-je. Ces maux me sont inconnus, et il parait que je me porte beaucoup trop bien, car je me sens aussi vide de désirs, aussi dépourvu d’idéal que le mollusque des rochers qui ouvre sa coquille à la mer montante. J’ai loué hier une barque, où je suis resté couché tout le jour entre le ciel bleu et la mer bleue. C’est beau ; mais je ne suis pas un alcyon pour me contenter de ces harmonies.

— Je rentre pour t’expédier cette lettre. J’ai fait une promenade au bord de la mer. Elle était splendide, les feux d’un horizon enflammé s’y réfléchissaient, les voiles, à peine tendues, glissaient dans le lointain et le soleil couchant dorait là-bas la grève de Royan, l’établissement des bains et ses ombrages. Le parfum de la mer m’emplissait les narines du haut de la falaise où j’étais assis.