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utile et grand. Et je le serai. Non, cette union qui existe déjà, la seule légitime, ne sera pas sacrifiée à de prétendues convenances. Je ne le souffrirai pas.

Sixième fragment. « Ce ne sont partout dans les champs que nappes de blés mûrs, si épaisses et si serrées, que les bras manquent pour la moisson. Il faut se hâter pourtant ; car le soleil chauffe les grains et les mûrit ; ils rompraient vite leur frêle enveloppe, et le moissonneur ne rapporterait dans la grange que des épis vides.

« Je souriais au spectacle de cette abondance, et je me disais : Le pauvre, cette année, aura du pain à souhait. Nous ne verrons pas, l’hiver prochain, les petits enfants et les vieillards se traîner dans la neige ou dans la boue jusqu’à notre porte, où ils se tiennent silencieux, l’air triste et suppliant. Je me parlais ainsi, le cœur tout épanoui de joie, et, les yeux dans l’espace, je cherchais instinctivement la cause bienfaisante du bonheur humain, quand notre métayer, triste et brusque, vint jeter une gerbe à côté de moi. Tout en essuyant son front, chargé de soucis et de soins, il jetait des regards désolés sur le groupe des travailleurs qui, suivant leur sillon, chantaient et riaient.

« — Qu’avez-vous ? lui demandai-je.

« — Eh ! mam’zelle, tout ça me ruine, voyez-vous.

« — Comment ? votre moisson est magnifique !

« — C’est ben ça, précisément. Si le blé avait été rare cette année, j’aurais fait de bonnes affaires ; mais une moisson comme ça, c’est ruineux, je suis perdu.

« Il s’éloigna, et je me demandai si quelque coup