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devoirs les uns vis-à-vis des autres, quelque temporaires qu’ils soient. Notre véritable but n’est pas le bonheur. Non, la vérité même n’a pas le pouvoir de nous dispenser de la justice.

Elle avait raison, quoique bien sévèrement. J’étais le fiancé de sa sœur. Ah ! pourquoi, dans mes heures d’ennui et de doute, ai-je formé ces liens maudits ? Je restais là, presqu’à ses pieds, à la fois écrasé par une douleur immense, et prosterné par un amour plus enthousiaste et plus profond que je ne l’avais rêvé. Je regardais son beau visage, transfiguré par la hauteur de ses pensées, où brillait encore l’humidité de ses larmes, et je ne pouvais m’éloigner, quand elle mit sa main dans la mienne en me disant :

— Adieu, cher William.

Le sang me battit aux oreilles ; ma vue se troubla ; une oppression invincible m’ôta la voix, et je la laissai partir.

Mais, quand elle eut disparu, j’éclatai eu sanglots. Le vent sifflait autour de moi dans les feuilles sèches et j’eusse voulu être emporté, balayé bien loin, dans des espaces où je me fusse perdu. Ah ! je l’avais maintenant cet amour tant désiré ; plus de doutes, plus d’hésitations ; c’est elle, je n’ai même pas besoin de me le dire ; il n’y a là ni pensée ni volonté ; cela est, parce qu’elle existe et que je suis. Quelle fatalité, grand Dieu ! m’a fait si longtemps passer insoucieux, aveugle à côté d’elle. Ne suis-je pas un fou, bien digne de mon sort !

Je lui obéirai ; je ne pars pas. Mais je me demande encore si c’est bien possible. Je ne vois de tous côtés devant moi qu’injustice ou crime. N’est-ce pas me jouer du mariage