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fatalité stupide qui nous mène hors de nos voies, un bandeau sur les yeux. La vie est une marche à tâtons dans les ténèbres, et, comme des enfants, nous nous hâtons de saisir l’objet le plus proche. Toutes les heures, une à une, se sont écoulées en rêves, en projets insensés. Je me suis levé avec l’intention de fuir à jamais le Fougeré ; je l’ai revue ; elle m’a souri et son serrement de main, son regard affectueux, ont remis le calme en moi. Il me semble à présent que j’ai eu le délire et que je ne l’aurai plus. Quelle situation étrange ! Est-ce le vide de mon cœur qui m’agite ainsi ? Suis-je comme un homme mourant de faim, à qui la fièvre cause des hallucinations ? Plus je vais cependant, plus je sens qu’il faut que je parte. Mais comment me dégager honorablement ?

Nous parlions de Mignonne aujourd’hui, Édith et moi.

— Elle n’en mourra pas, me dit Édith. Le vieux ne nous l’avait pas dit ; mais il l’a soignée. Les coliques s’apaisent, sa figure est plus reposée ; elle cède à la fatigue et dort.

— Tant pis pour elle, dis-je.

— Non, elle se relèvera peut-être guérie de corps et d’esprit. L’amour de la vie, ou plutôt la crainte de la mort, semble maintenant dominer sa douleur, et elle reçoit avec reconnaissance les soins de son pauvre père.

— Je l’avais bien jugée, m’écriai-je. C’est une imagination romanesque, et voilà tout. Elle a voulu jouer le rôle d’une héroïne. C’est un suicide d’importation parisienne. Un autre amant la consolera.

— Vous êtes bien sévère, William. Cette jeune fille est romanesque, sans doute, mais elle est sincère. Comme la