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peu de surprise, et en même temps une expression de timidité charmante que je n’avais point encore vue sur son visage ; nos mains unies se pressèrent longuement.

— J’avais dix-neuf ans, me dit-elle, quand mon père me présenta un jeune homme avec lequel il désirait me marier. Il se nommait Alfred Rocheuil ; il était riche ; il avait fait de bonnes études et travaillait dans la maison de son père, banquier à Poitiers. Sa figure annonçait la bonté et l’intelligence ; il avait du tact et de l’esprit. C’était, comme on dit parmi nous, un parti superbe, et mon père était fier de son futur gendre. M. Alfred était devenu amoureux de moi dans une soirée où nous nous étions rencontrés. J’étais alors très-naïve et parfois très-gaie. Toute ma vie s’était partagée entre les livres et les champs. Je disais ce que je pensais ; j’avais confiance en l’avenir.

Ma première impression fut beaucoup d’étonnement, une sorte d’effroi qu’on songeât à me marier ; je me sentais beaucoup trop jeune pour savoir être femme et mère ; je le dis à mon père et demandai du temps. Il compta sur M. Alfred pour me décider bientôt, et tout d’abord, en effet, l’amabilité de ce jeune homme, l’amour qu’il avait pour moi me touchèrent. Un nouvel horizon m’apparut ; des sentiments nouveaux s’éveillèrent en moi. Oui, l’amour me fit battre le cœur, et je crus que j’aimais M. Rocheuil. Cependant, la crainte de m’engager persistait, je voulais savoir…

Édith s’arrêta comme embarrassée ; un voile de pourpre s’étendit sur son visage ; et moi, je me le rappelle, j’avais le cœur serré à en mourir.