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Je ne puis exprimer le choc qui se fit en moi. Ce fut comme une entrée dans un monde nouveau. Depuis ce temps, je suis là, ivre, étourdi, le corps inerte, l’âme si haut qu’elle échappe à ma propre vue. J’éprouve un immense bonheur, sans savoir pourquoi. Oh mon Dieu ! l’amitié serait-elle supérieure à l’amour ?

9 décembre.

L’hiver a des beautés que je ne lui soupçonnais pas. La terre est glacée, mais le ciel est admirable. Le soleil tantôt luit, tantôt se cache sous des nuages blancs. Les chênes ont encore leur feuillage ; le vert de la lande a bruni ; mais les fougères qui la parsèment sont devenues d’un rouge éclatant. Là-bas, sur ces ajoncs qui bordent un carré d’herbe, le soleil, grand décorateur, fait éclore les nuances les plus vives et roule mille splendeurs ; les voici maintenant dans l’ombre et ces chênes brillent à leur tour ; les blancs nuages qui glissent au ciel, forment sur la lande des ombres légères, qui la parcourent en la plissant, comme le vent l’onde.

Tout ce qui est autour de nous est révélation de l’inconnu. Qui saurait lire dans la nature saurait tout sans doute ; car les plus grandes choses ont d’humbles attaches ; tout est parent dans l’univers. Moi, je trouve à rêver des joies infinies, là, sur ma table accoudé, contemplant cet horizon, avec lequel je me sens mille affinités secrètes. Il y a là de ma vie future ou passée ; que d’espaces invisibles j’ai explorés, les yeux attachés sur quelque détail de cette lande, ou la voyant d’ensem-