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CINQUANTE-DEUXIÈME LETTRE.

WILLIAM À LUI-MÊME.

8 décembre.

Je ne sais où j’en suis. C’est bien étrange ! La vie a-t-elle des émotions que je ne connaissais pas ? Y a-t-il des joies supérieures à celles de l’amour ?

Nous allions nous mettre à table, ce matin, quand maman est entrée, le visage ému. Elle vient à moi et m’embrasse :

— Vous êtes un grand cœur, William, mon cher fils.

Elle venait de causer à la porte avec cette pauvre femme dont j’ai porté les enfants l’autre jour, et qui lui a demandé de mes nouvelles, en racontant l’aventure et en exprimant sa reconnaissance pour moi. Ils ont tous fort admiré que j’eusse pris dans mes bras ces pauvres petits, crottés et déguenillés, pour les porter à travers les mauvais chemins, et M. Forgeot et Clotilde en ont tant dit là-dessus, que je n’ai pu m’empêcher de montrer mon impatience. D’abord je ne puis souffrir que la louange, — le plus fade et le plus écœurant des rapports humains, — se permette de toucher aux actes du cœur ; puis, je leur ai fait observer qu’il n’y avait là rien d’héroïque, puisque j’y compromettais seulement la propreté de mes vêtements, et que j’eusse été par trop lâche enfin de laisser cette pauvre femme écrasée sous son fardeau.

— Ce qu’il vous plaît de trouver beau, leur dis-je encore, c’est surtout d’avoir mis de côté ma gentilhommerie