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un peu loin par son goût pour la phrase et les effets saisissants, car il osa reconnaître toute la profondeur du mal, en montrant des affamés qui, les yeux au ciel, mouraient sans se plaindre.

La sensibilité de Monseigneur parut blessée de ce manque de tact ; il dit d’un ton sec et concentré :

— Oui, le Seigneur nous éprouve cruellement. Que son saint nom soit béni.

— Encore quelques truffes ! Monseigneur, je vous en supplie, dit M. Plichon.

Le moment me parut favorable, et m’adressant à M. Camayon, que j’avais jusque-là comblé de politesses, à l’exception malheureuse du vin de Chablis :

— M. Forgeot, lui dis-je, a excellemment raison : il n’est point de cas où l’utilité de la religion chrétienne me paraisse démontrée mieux qu’en celui-ci, et je comprends maintenant toute la profondeur du mot qu’on prête à Jésus : Mon royaume n’est pas de ce monde. Les pauvres, en effet, seraient bien fous et bien ingrats de se plaindre quand, en échange des tortures passagères de la faim, on leur présente les délices éternelles du paradis, et l’on pourrait à ce sujet parodier le mot de Voltaire : Si le paradis n’était fait déjà, il serait urgent de l’inventer.

M. Camayon s’était vivement tourné vers moi, et m’avait enveloppé d’un regard inquisiteur. Mon visage sans doute l’éclaira suffisamment, car il se le tint pour dit, et répliqua seulement en m’offrant des olives d’un air gracieux. Nous parlâmes le reste du temps d’Homère et de Platon, qu’il aime et comprend en helléniste, et je n’aurai point à m’embarrasser des faveurs épiscopales.