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bouteille la pointe de mon couteau, je la fis tomber en plein sur le verre de M. Camayon qui se brisa, tandis que le vin contenu dans la bouteille se répandait à flots dans l’assiette, et de là, sur les genoux même du digne prélat. Je m’écriai, je me levai. M. Camayon s’était lancé à dix pas en arrière. Les exclamations se croisèrent ; l’émotion contenue déborda en doléances ; les serviteurs accoururent, et maman fit étendre plusieurs serviettes sur la nappe mouillée, tandis que j’étourdissais M. Camayon de mes excuses et que je déplorais hautement ma maladresse.

Tout cela prit du temps ; quand l’ordre fut rétabli, il était trop tard pour revenir sur un mot malencontreux. La couleur du visage de M. Plichon avait baissé déjà de quelques tons, et j’ai observé, d’ailleurs, que la colère seule le rend agressif vis-à-vis d’Édith et que de sang-froid elle lui inspire une sorte de crainte.

La conversation prit bientôt un autre cours ; M. Forgeot, qui aime à montrer sa dextérité en jonglant avec les idées sur des sujets délicats, se plut à tracer d’une main habile, à l’épaisseur près d’un cheveu, la démarcation qui doit exister entre le spirituel et le temporel, entre l’État et l’Église, tout en accablant celle-ci de coups d’encensoir. Ce fut une joute des plus courtoises, à laquelle l’Évêque prit part, et où l’on fit des deux côtés assaut de complaisances. M. Forgeot sait être pathétique ; il fit une peinture touchante des bienfaits de l’Église, et n’oublia pas de signaler cette admirable résignation que, dans les épreuves de la crise actuelle, la religion inspirait aux malheureux. Même, il se laissa entraîner