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— Vous êtes menacée d’une séparation, me dit-il en me montrant du regard. Il me prenait sans doute pour le fiancé d’Édith.

À table, Édith se trouvait placée du côté opposé à l’évêque et les yeux de celui-ci se portèrent plusieurs fois sur cette pâle figure, dont l’expression pure et austère est d’un contraste si frappant avec toutes les autres. On attaquait les huîtres, dont l’évêque mangea peu, et le silence était presque général quand Monseigneur, s’adressant à Édith qui, à ce moment, levait les yeux sur lui :

— Vous n’étiez pas à la cérémonie, Mademoiselle, vous étiez souffrante, m’a-t-on dit ?

— Non, Monsieur, répondit-elle, je n’étais pas, en effet, à Sanxenay, mais je me porte très-bien.

Ce titre de Monsieur, qui le rangeait à l’égalité, alla frapper Sa Grandeur en plein visage. Il parut stupéfait et rougit. Tous les convives, qui au moindre mot de Sa Grandeur tendaient les oreilles et avaient, par conséquent, tout entendu, échangèrent des regards pleins d’horreur et d’indignation. Maman avait pâli ; d’une voix tremblante elle s’empressa d’offrir quelque chose à l’évêque, en parlant haut et vite, comme pour s’éloigner le plus tôt possible de l’incident ; le rouge de la colère venait de monter au visage de M. Plichon, qui, tournant vers sa fille des regards flamboyants, allait faire un scandale stupide ; et, je cherchais éperdument quelque moyen de détourner l’attention, quand Jean posa près de moi une bouteille débouchée encore pleine de ce Chablis, qu’il venait de promener autour de la table, en offrant du chat blanc à tout le monde. Passant aussitôt sous la