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— Ces dames sont courageuses, répondis-je en entrant. Voyez plutôt Mlle Édith.

Il me crut décidé à le ridiculiser et se hâta de prendre l’avance en racontant lui-même son aventure avec esprit et gaieté. Je fus donc obligé de parler de la mienne ; mais, pour dépister tout soupçon, je prétendis qu’à en juger par le costume de mon agresseur, il devait être étranger. Les dames se récrièrent, et l’on m’ordonna de ne plus sortir le soir. Édith avait jeté sur moi un regard inquiet.

— Nous sommes en un temps mauvais, très-mauvais, dit M. Plichon soucieux. Et il parla des troubles survenus en plusieurs lieux par suite de la cherté des grains. Ce qui est étrange, c’est que ni lui ni M. Forgeot n’attribuent ces troubles à l’horrible misère du peuple ; mais à des agents perturbateurs, sorte d’êtres fantastiques amoureux du désordre, comme Satan du mal, et qui, disent-ils, excitent les mauvaises passions. La faim serait-elle une mauvaise passion ? Certes, M. Forgeot ne devrait pas hésiter à la ranger, même avant la peur, au nombre des instincts les plus légitimes et les plus nécessaires de notre nature ?

Mais ce n’est qu’un manteau, jeté sur la vérité qu’ils ne veulent pas voir, un paravent chinois, qu’ils étendent entre la honte de leur superflu et l’horreur d’une situation importune, dont ils ne veulent pas souffrir. Ils sentent confusément qu’ils sont responsables et que le peuple, ignorant et pauvre, ne peut s’adresser qu’à eux, dépositaires de l’instruction et de la richesse. Il est certain que cette famine eût pu être conjurée, adoucie du moins ; mais on n’a songé qu’à s’enrichir de plus en plus aux dépens