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Oui, quand je l’ai rencontrée, à vingt ans, par je ne sais quel miracle, qu’à présent je ne comprends plus, je croyais à la présence de la bonne foi et de l’amour dans le monde moral, comme on croit à la présence de l’air dans le monde physique ; j’adorais la vérité même dans ses regards ; je prenais ses baisers pour des serments, et jamais, oh ! jamais, je ne te ferai comprendre quel épouvantable choc je reçus dans tout mon être, quand j’appris que l’amour pouvait mentir, que des illusions pouvaient jouer si bien le rôle de croyances, et qu’ayant cru m’enivrer pendant deux ans aux sources les plus sacrées, je n’avais vécu que de mensonges. Naïf à ce point ! me diras-tu. Eh oui ! je sortais des bras de ma mère, et l’on ne m’avait jamais trompé. J’avais entendu certes parler de trahison, de tout ce qu’on voudra : mais est-ce savoir qu’entendre dire ? Savoir, c’est éprouver. Un égoïste sait-il ce que c’est qu’aimer, parce qu’il sait que l’amour existe ? Apprends à un être chaste tout ce que tu voudras des turpitudes humaines ; elles n’habiteront point pour cela sa pensée, et il ne les soupçonnera pas davantage autour de lui.

J’en sais sûr cependant, cette pauvre femme m’a aimé autant et aussi longtemps qu’elle pouvait aimer ; mais c’est là précisément l’écueil le plus triste de notre destinée, la probabilité d’être trompé se compliquant de la probabilité de nous tromper nous-mêmes. Aussi devrions-nous en toute honnêteté ne pas permettre que les autres s’attachent à nous, pas plus que nous ne devrions nous attacher aux autres ; mais supprimer la vie vaudrait encore bien mieux !