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maison qu’ils vont, car ce qu’ils veulent, c’est du pain. La pâleur, si rare chez le paysan, a déjà envahi la plupart de ces visages, ceux des mères surtout ; et cependant l’hiver commence à peine. Je donne cinq sous à chacun de ceux que je rencontre ; ce n’est que la moitié d’une livre de pain ; mais ils sont étonnés de cette munificence.

Eh bien, le croirait-on ? vu le grand nombre des pauvres, J es riches diminuent la valeur de leur aumône. Autrefois, tout mendiant qui se présentait au Fougeré recevait un morceau de pain du poids d’une livre environ ; maintenant on ne donne qu’un sou, le dixième d’une livre au prix actuel, et cependant l’on dépense bien davantage ; Clotilde donne un sou également. Considère que dans le rayon d’une lieue il n’y a d’autre maison bourgeoise que le Fougeré ; que les paysans, même les plus riches, ne donnent guère, et imagine le sort de ces malheureux !

J’ai rencontré l’autre jour une femme qui portait ses deux enfants, l’un de quatre ans, l’autre de six, au retour d’une course de plusieurs lieues. Elle était bien hâve et bien pâle, et fléchissait à chaque pas sous le fardeau. Ma foi, je lui ai donné tout ce que j’avais sur moi ; j’ai porté les deux enfants à mon tour pendant près d’une demi-lieue, et ils m’ont promis de marcher jusqu’à leur maison, qui n’était plus loin. Au milieu de tout cela, quand j’entends parler de Bourse et de tripotages, la colère me prend, et je sors pour ne pas dire ce qu’ils ne veulent pas comprendre. Conçoit-on qu’en face d’une pareille misère on songe encore à ne pas dépasser son