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là-bas, de bonne foi, ferais-je autre chose que souscrire à vos décisions ? De ce qui me restera, j’achèterai un domaine à la campagne, avec une bibliothèque, et m’occuperai d’agriculture. J’écrirai peut-être ; l’envie souvent m’en est venue ; mais je me suis laissé vivre d’abord, ce qui est sage.

En définitive, faites ce que vous voudrez, je ne veux pas quitter Royan… Et toi, Gilbert, fais-moi le plaisir de retirer tes phrases insolentes sur les bergères. Je ne crois pas toujours en particulier à ce qu’on appelle la vertu des femmes ; mais je ne puis souffrir qu’on la raille en général. C’est odieux et faux. J’ai précisément sous les yeux le type le plus charmant de vraie chasteté, une ignorante naïve. Je veux t’en parler — d’abord pour que tu la respectes, ensuite, parce que depuis l’enfance j’ai pris la mauvaise habitude de tout te dire ; surtout, peut-être, parce que ce me sera un grand plaisir de parler d’elle.

Figure-toi une jeune fille de dix-neuf ans, d’une taille un peu au-dessous de la moyenne, d’une blancheur extrême, avec dos cheveux d’un blond d’or, des joues rosées et des yeux bleus, où viennent se peindre une foule de volontés hardies et de pensées timides — comme une troupe de faons, curieux et craintifs, interrogeant l’espace à la lisière d’un bois. C’est une tête d’Hébé sur un corps de vierge. Elle a des bras divins, qui ne ressemblent point aux pattes d’araignée de la plupart des jeunes filles. Élevée à la campagne, l’air et le soleil ont vivifié cette jolie plante, et la rosée du ciel l’a imprégnée de ses plus doux sucs. Cet œil plein de feu