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à la même page, si Édith ne s’en était emparée pour l’achever. Je me demande quelle somme de vie intellectuelle peut renfermer une existence aussi dépourvue d’objets sérieux que l’est celle des jeunes filles de la bourgeoisie ? Se parer, broder, babiller : voilà leur journée entière. Elles ont un cerveau pourtant. Que s’y agite-t-il ? Nécessairement des rêves, aussi illogiques peut-être que ceux du sommeil en l’absence de la raison.

J’avais apporté de Paris pour elle trois livres : la Petite Fadette, Picciola et l’Esquisse des progrès de l’esprit humain, de Condorcet, dont j’aime la morale pure, simple et de bonne foi. Les romans ont été lus, dévorés plutôt ; mais, quant à Condorcet, il n’est pas ouvert encore et ne le sera peut-être point.

Quelles étranges filles nous fait cette éducation ! Il est bien avéré de par la poésie romantique, — et c’est tombé à l’état de ritournelle, — que la jeune fille est quelque chose d’immaculé, de candide, analogue dans l’humanité au lis parmi les plantes. La jeune fille ! oh !… cela se prononce d’un air béat, la bouche en cœur, l’œil au ciel. Les viveurs, en particulier, n’entendent pas là-dessus raillerie. Ils ont absolument besoin de sainteté chez leurs filles et chez leurs femmes, et ne sauraient se contenter à moins. Mais alors comment s’arrange-t-on pour les faire vivre, ces anges, dans la constante préoccupation de ce qui ne doit pas être, au point que leurs défiances et leurs soupçons peuvent injurier un honnête homme ? Nulle confiance, nul abandon, nul oubli. Rien d’élevé dans le sentiment. Figurez-vous un croyant, prosterné