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Malheureusement, la société le refuse aux femmes de ma condition et ne le solde aux autres, d’ailleurs, que par la misère. Je ne pourrais guère me faire ouvrière, ayant besoin de loisirs intellectuels et n’étant point habituée aux privations ; l’exercice de la pensée m’est en outre plus familier que des exercices manuels. C’est donc parmi les travaux de la pensée que j’ai dû chercher celui dont j’étais capable, ou qui pouvait m’être permis. Je connais l’allemand, un peu l’anglais ; j’ai pensé à faire des traductions. Mais il est dans ces langues peu d’écrivains dignes d’être traduits qui ne l’aient été déjà, ou ne soient sur le point de l’être, tandis que le Danemark, la Suède, la Norwége, doivent receler des trésors de poésie encore inconnus pour nous. Auriez-vous la bonté de m’envoyer deux grammaires, suédoise et danoise, avec les dictionnaires ? Mais il me faudrait aussi des auteurs, choisis parmi les plus originaux, et je ne puis vous les indiquer. Il me faudrait surtout un éditeur, qui désirât ces traductions et consentît à m’en faire la commande.

« Voilà beaucoup de démarches n’est-ce pas, Monsieur ; et j’ai bien peu le droit de vous occuper autant. Je dois vous avertir en outre que mes parents seront hostiles à toute tentative de ma part pour m’éloigner d’eux, et qu’ils préféreraient me voir mourir ici de misère morale que me voir agir à vingt-cinq ans en être majeur. Veuillez, Monsieur, vous consulter et me répondre. »

Que dis-tu de cette lettre ? C’est écrit à l’emporte-pièce. Et pourtant cet orgueil me plaît et je suis fier de la confiance de cette fille étrange. Après tout elle a raison ; elle