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passe la moitié du jour dans les massifs les plus solitaires, quelquefois au parc de Saint-Cloud. D’abord, j’écrivais à Blanche tous les jours et longuement, mais on m’a défendu de lui écrire plus d’une lettre par semaine ; cela m’a coûté beaucoup, je lui parlais avec toute mon âme, et il me semblait qu’elle devait m’entendre. Nos étranges mœurs renvoient pour plus de sûreté toute expérience après le mariage. Quelle bouffonnerie !

Eh bien, parfois, véritablement, j’étouffe un peu. Il m’est venu à l’idée d’écrire… un de mes rêves. Je l’ai pris en amour ; il me console et me satisfait, relativement, car l’expression est toujours insuffisante. Quelquefois, tout rempli d’une incarnation splendide, je saisis la plume ; des difficultés de détail çà et là me heurtent et me meurtrissent ; mais je vais toujours, enivré de ma pensée. Quand j’ai fini, fier et joyeux, je relis : ce n’est plus cela ; c’est pâle et froid. Mon idéal flamboyait ; ma pauvre page luit à peine. Oh ! l’éclair de Byron !…

Mais enfin, c’est ce que j’ai dans ma solitude de plus doux et plus selon moi. Cela m’occupe l’âme, et m’empêche de creuser ailleurs. Et puis, si j’obtenais un succès d’écrivain, j’aimerais mieux cela qu’autre chose. Le tout est qu’il se trouve assez d’êtres en ce monde dont ma pensée soit la pensée, ou la vague aspiration. Mon ami, servir ainsi d’expression et de point de ralliement à de nobles êtres, qui, en retour de la joie que vous leur causez de se voir traduits, vous aiment un peu ; éclairer peut-être la conscience de quelques-uns, et, par la seule puissance d’une incarnation nouvelle, donner au bien un peu plus de réalité, c’est beau ; je n’en demanderais pas davantage