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faut à Blanche un beau revenu et de l’éclat ; il me faut pourvoir d’avance aux besoins d’une famille. Tout cela, au train dont va le monde, semble bien difficile pour moi.

Et cependant, je ne suis pas un être inutile. J’ai de l’instruction, de l’intelligence, une scrupuleuse probité. J’ai de la force, il me semble parfois, à remuer le monde, une énergie secrète qui me dévore et qui, employée hors de moi, me rendrait heureux. Jamais, je n’ai même essayé, vois-tu, de faire comprendre à personne la hauteur de mes désirs, et je n’en parle quelquefois, mais sans paroles, qu’à l’âme de ma mère. En voyant tous les autres se contenter de si peu, je rougis de mon exigence et la cache soigneusement. Je me reproche à moi-même et tâche d’effacer en moi le mal que me cause une parole, un geste, le moindre indice de ces plaies éternelles du cœur, l’égoïsme et la bassesse. Et je me défends de voir, longtemps, jusqu’à ce qu’il me devienne impossible de douter.

— Que te disais-je ? Que je suis peu propre à remplir une place, et moins encore à l’obtenir. Eh bien, que faire ? Je rêve souvent de me vouer à quelque grande œuvre ; puis je me rappelle que je suis engagé à Blanche. Ne le serais-je pas d’ailleurs ? À cette époque stagnante où nous sommes, aucune voie n’est ouverte aux nobles activités. La science seule et ses conquêtes ? mais je n’ai point la passion des lentes recherches. La vie qu’il me faut, c’est à ciel ouvert, avec l’espace devant moi.

Je vais te dire comment se passe ma vie. J’ai enfin trouvé, rue de Courcelles, une petite chambre fort propre. Je vais de là, souvent, au bois de Boulogne, où je