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homme malheureux. Indifférence, dédain ou pitié. Quand j’étais riche, il ne me venait point à la pensée de refuser aux autres l’égalité, que maintenant je réclame en vain. Il y a bien un mot divin, compassion, souffrir avec celui qui souffre ; mais la chose, où se trouve-t-elle ? et ce mot même, on en a gâté le sens. Il n’y a que toi, cher ami, qui me donnes à peu près le sentiment que je puis vouloir, la compassion vraie ; mais une chose encore me gêne en toi, c’est que tu souffres autrement et plus que moi, et te mets à ma place, sans être moi-même.

Quant au monde, je savais par cœur toutes ces tristes épreuves, devenues banales, de l’ingratitude des obligés, du mépris des sots, de la morgue protectrice des envieux d’autrefois ; mais je ne suis nullement disposé à les supporter, et ceux qui ont voulu contempler de trop près l’éboulement de ma fortune ont reçu de tels pavés, qu’ils ne seront pas tentés d’y revenir, et pourront témoigner de tout ce que j’ai perdu de douceur et gagné d’orgueil.

Est-ce irritant ! Je me trouvais, moi, toujours le même et n’y prenais seulement pas garde, et parce qu’il plaît à des imbéciles d’agir différemment vis-à-vis de moi, il faut que je change d’humeur ! Je ne puis être ferme, parce qu’ils sont changeants ; ni simple, parce qu’ils sont à l’opposé de tout naturel, de toute vérité ! Mon cher, le vrai stoïque doit être seul de son espèce, ou, pour mieux dire, ne peut exister.

Ne conserve plus la moindre illusion au sujet du duc ; il ne fera rien pour moi ; ou, s’il veut faire quelque chose, ce sera détruit sous main, comme il est arrivé déjà pour