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Elle est gentille, pourtant, cette Mignonne. C’était hier dimanche et j’étais allé au-devant de la famille jusqu’à peu de distance de Sanxenay. Là je vis un chemin étroit, ombragé d’ormes et de frênes, qui s’en allait en tournant le long d’une prairie, un de ces chemins discrets, au sol gazonné, dont les branches frémissent en chuchotant et qui vous attire avec confidence dans ses détours mystérieux. Je songeai que de là je pourrais entendre le roulement de la voiture, et m’y enfonçais à petits pas, quand de l’autre côté de la haie m’arrivèrent les sons contenus de deux voix, douces et frémissantes comme des ailes d’oiseaux, quand elles battent auprès des nids. Je m’avançai doucement, ce qui fut peu discret de ma part, je l’avoue, et par une trouée je reconnus Mignonne et son amoureux Justin qui se parlaient. La pauvre enfant était fort émue ; tantôt elle baissait les yeux, tantôt elle regardait son amant, et il me semblait voir, par je ne sais quel sens occulte, son âme qui tout entière passait d’elle en lui. Le garçon me sembla mieux à sa place, quoiqu’il la dévorât des yeux. Pourtant, Mignonne, voyons, puisque je t’aime…

— Eh bien, puisque tu m’aimes… que feras-tu ?

— Dam, que veux-tu que je fasse ? Je t’aime, je me dévore le sang, je m’enrage, et puis après ? si tu savais comme est mon père ; on n’ose tant seulement pas lui dire un mot.

— Alors, si c’est comme ça, Justin, dit la jeune fille d’une voix tremblante, c’est qu’il n’y faut plus penser, car ça n’aura point de fin.

— Sapristi ! n’y plus penser ! est-ce que je le peux ?