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chesse publique, des coups de Bourse scandaleux, une conscience achetée par-ci par-là, le tout accompagné de quelque mot plaisant. On rit du mot, puis on dit : C’est indigne ! Mais on a ri. M. Forgeot répète alors :

Ce n’est pas beau, j’en conviens ; mais c’est reçu. C’est comme cela. Si vous portiez là-bas vos scrupules, on les traiterait d’imbécillité. Tous les honnêtes gens font comme vous ; ils crient d’abord ; puis, en voyant le gâteau se partager, ils font ce raisonnement :

— Après tout, puisque c’est ainsi, autant moi qu’un autre. — Et le fait est que, si on laissait tout prendre aux gens malhonnêtes, ce serait leur faire trop beau jeu. On ne s’enrichit que comme ça ; il faut faire comme les autres ; on est libre après de bien employer ce qu’on a gagné.

J’ai protesté contre de tels arguments avec plus de vivacité, peut-être que de politesse. Il m’assure paternellement qu’avec ces principes, je ne ferai jamais mon chemin. Cet homme me hait, et je le déteste. Il vient apporter au milieu de cette famille, simple et bonne dans sa solitude, tous les mauvais ferments du monde ; leur éducation et leurs préjugés les rendent facilement accessibles à ces influences ; le cœur est bon, mais l’esprit sans force et sans culture ; or une conscience ferme, je le crois, ne s’allie guère à un esprit faible.

Il est certain que dans ce milieu bourgeois, où la fortune est l’appât suprême, les histoires trop vraies de M. Forgeot doivent exciter bien des rêves, remuer bien des désirs. S’enrichir tout à coup par un mot dit à la