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d’étrangers ; cette loi qui force l’être le plus dur à se nourrir de lait et de caresses et à rendre à son tour à un autre les mêmes tendresses ; les mêmes soins, qui nous unit par les noms de frère, de sœur, de mère, de fils, d’amant, le grand amour, l’âme de ce monde, c’est à la mort que nous le devons, puisqu’elle nécessite la naissance ; et voilà pourquoi je bénis et adore la mort comme la plus puissante des lois de la vie.

Je me rappelle que je leur dis cela bien mieux et plus vivement. J’étais ému. J’avais souffert et rêvé tout ce matin, et mon âme était vibrante comme un fil tendu. Je ne suis déjà plus tout à fait heureux, et tantôt je m’en indigne comme d’une injustice, tantôt je me reproche d’être si avide, si insatiable, que je ne puisse me contenter à moins d’un idéal, sans doute irréalisé. Oui, je subis les ennuis d’une âme trop susceptible et d’un esprit trop investigateur. Je ferais mieux de moins réfléchir, peut-être. Quoi qu’il en soit, je ne reviendrai pas sur ces rêveries funestes, ni sur leur cause. Que voulais-je dire ?

Ah ! je voulais dire combien me frappa l’expression d’Édith quand j’eus fini de parler. Au moment où je la regardais, elle baissa les yeux ; mais son visage fut illuminé longtemps des reflets de sa pensée, comme les montagnes après que le soleil a disparu. Que pensait-elle ? Elle ne le dit point, et je n’ai pu le saisir.

Ce Forgeot est venu apporter ici toute la bassesse et toute la vénalité du monde qu’il habite. Il nous raconte, en se frottant les mains, les tripotages auxquels il a assisté ; des marchés effrontés faits aux dépens de la ri-