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de chez soi, ni chez soi-même, souvent. Le temple du dieu comme il faut est leur géhenne ; ils y vivent aux fers. Le laisser-aller est pour eux une impiété, et, comme pour penser et parler ils ne consultent que l’usage et les oracles parisiens, il en résulte un défaut d’originalité qui donne à tous même conversation, même physionomie. Leurs expressions comme leurs modes sont copiées de Paris.

Les scies parisiennes mêmes vont fleurir en province ; les niaiseries du peuple dit le plus spirituel du monde sont jugées dignes du transport par chemin de fer et arrivent ici pêle-mêle, avec les airs dont les orgues de Barbarie ont saturé la malheureuse cité. Je me suis l’autre jour bouché les oreilles en entendant un petit pâtre siffloter une de ces ritournelles. Comment ça a-t-il pu pénétrer ici ? Où fuir désormais ?

C’est ainsi que nous avons eu tout le jour dans l’oreille le Bébé de mademoiselle Martin l’aînée, mariée à monsieur je ne sais plus qui. Cette jeune femme s’est donné le luxe d’une nourrice enrubannée et d’un enfant ruisselant de dentelles et de broderies. La mère ne le touche pas, mais tourne autour avec des airs de colombe couveuse, en roucoulant cinquante fois par heure : mon Bébé, le Bébé, notre Bébé, et les autres de répéter : son Bébé, le Bébé, notre Bébé. C’est agaçant, parce qu’elles font de ça un objet de toilette. Je ne puis pas souffrir l’amour maternel accommodé à la dernière mode. N’y pouvant plus tenir, je m’en suis allé et, rencontrant en chemin la Madeluche et sa bande, j’ai, ma foi, sans trop regarder, embrassé le plus petit.