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différente d’elle-même, de l’être que je rêvais en elle, du moins. Je l’ai cependant observée à Royan, au milieu des fêtes ; elle rapportait tout à moi et n’était coquette que pour moi seul. Son sentiment pour moi éclatait alors avec une sorte de violence. Elle est toujours bonne et tendre, mais en effet moins passionnée. Ah ! Gilbert ! ce que tu as pensé d’elle serait-il vrai ? Est-ce l’imagination qui la guide au lieu du cœur. Cette passion, n’était-ce que le désir de captiver un homme envié, roi, sans l’avoir voulu, de cette société de provinciaux ? ce désespoir, était-ce le dépit de l’abandon, surexcité par l’obstacle ? Tiens, je me maudis d’avoir de pareilles pensées. Ce n’est pas vrai ! C’est toi qui m’as jeté ces doutes odieux, c’est toi qui me causes toutes ces tortures. Oh ! le soupçon ! quel poison secret, sûr autant qu’infâme. Oui, c’est bien cela, calomniez ! le doute au moins restera. Il n’y a peut-être pas sur terre une foi assez ferme pour n’être pas ébranlée par le soupçon. Quels êtres de peu nous sommes ! Je suis un fou, et un fou méchant, et quand je me suis livré à toutes les suppositions, quand j’ai rampé dans les sentiers tortueux, à la recherche des choses viles, quand j’en suis venu à détruire pièce à pièce tout mon bonheur, à mépriser ce que j’adorais, je me réveille en sursaut tout à coup, transporté d’indignation contre moi-même ; et, revenant à la cause de tout ce bruit, je hausse les épaules. Ne voilà-t-il pas une belle affaire ? Oui, je suis trop susceptible, trop rigoureux……

Que la vie tient peu les promesses dont elle nous berce ! Pourquoi, mon Dieu, ces aspirations vaines… si impérieuses pourtant ?……