Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je ne sais quel penchant horrible, à dépouiller la vie de tout idéal, à nier le vrai, à rapetisser le grand, à découper en petits carrés la vie et l’être pour les classer en de petits tiroirs bien étiquetés. Ce qu’il y a d’amusant, c’est de voir avec quelle satisfaction de toi-même tu fais cela. C’est le genre du temps d’ailleurs, et tu ne peux manquer de le suivre. À propos de n’importe quoi, n’importe qui monte à la tribune, tranche dans le vif et de l’air du chirurgien le plus consommé, taille les plus grandes questions en sentences menues et affilées. Ça pose en homme supérieur. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’il reste après ça quelque chose à dire ; car c’est toujours jugé en dernier ressort.

Après tout, j’en fais quelquefois autant, peut-être ; mais quoi ? ce n’en est pas moins désagréable. Réellement, tu as trop d’outrecuidance, mon cher, de prétendre juger Blanche sans l’avoir connue. C’est une vraie jeune fille, tu as bien raison ; elles le sont toutes ; mais, sous le vernis uniforme d’une éducation pareille, chacune a sa nature particulière. Nieras-tu la diversité ? Permets-moi de croire que sous cette éducation et ses travers celle que j’aime a une âme aimante et pure, si toutefois tu consens à admettre qu’il y ait de ces âmes-là. Ah ! Gilbert ! quelle chose fâcheuse qu’il y ait entre des frères, des amis comme nous, des différences aussi profondes. Je crains qu’elles n’aboutissent à glacer notre amitié. Pourquoi te permets-tu de toucher à Blanche ? Tu m’as fait mal.

Tout ce que vous dites, toi et les tiens, a un tour spécieux qui frappe au premier abord. Comme vous rapportez tout à ce qui est commun, vos allégations empruntent à ces