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me disque c’est orgueil — maladie, peut-être. Ai-je le droit d’être seul de mon sentiment ? de m’obstiner dans des délicatesses que personne ne comprend ni ne partage ? Seul, souffrirais-je moins ?

On m’aime après tout ; non, il est vrai, sans alliage, mais,… c’est ainsi ; ai-je trouvé jamais que ce fût autrement ? Et n’est-ce pas dans l’amour — tel qu’il est — que j’ai goûté les joies les plus vives de cette terre ? Non, jamais je n’ai rien éprouvé de comparable à cette émotion âcre et profonde causée par les rayons croisés de deux regards, par l’aveu d’un mot, par un serrement de main, où l’on croit saisir une âme. Qu’y a-t-il ailleurs ? En ce temps-ci tout est mort. La patrie, l’héroïsme, le dévouement, sont des souvenirs antiques. Il faut aimer, aimer à tout prix.

Et puis, nous sommes stupides. Nous épousons des filles de dix-huit ans et voulons trouver en elles à cet âge toutes les intelligences et toutes les vertus. Qu’a-t-elle fait enfin cette pauvre enfant que j’ose condamner si vite ? Elle veut connaître la vie. N’ai-je pas voulu la connaître aussi ?

Ah ! périssent mes folles aspirations plutôt qu’elles me rendent injuste. Elle a eu tort seulement de ne pas me dire le sujet de son chagrin quand je le lui demandais. Je veux être son ami, la comprendre mieux, l’aider, l’éclairer peut-être, servir au besoin ses caprices d’enfant — et ne plus me former d’idole de vapeurs ou de verre.