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touche d’une scrupuleuse discrétion. Je me rappelle le bonheur que j’ai eu l’année dernière à relire mes lettres d’adolescent. Oh ! le divin monde ! Il n’est plus que là.

À mesure que nous changeons, notre passé se ternit, s’efface, et le souvenir qui nous en demeure n’est plus qu’une sorte de squelette. Mais dans ces lettres, c’était la vie ; c’était ma vie d’enfant tout entière, avec sa forme et son coloris, qui m’était rendue. J’en ai pleuré ; et de nouveau je l’ai vécue des jours entiers, avec délices et amertume. Donc, je te confie mes vingt-sept ans, et ce frais amour qui s’est emparé de moi. Tu me rendras cela dans quelques années.

J’aime autant, certes, que la première fois ; mais ce n’est plus de la même manière. Cette fois, j’ai besoin de me rendre compte de mes impressions. Je suis moins instinctif, moins aveugle. Senté-je moins vivement ? Je ne crois pas.

Oui, l’on étouffe chez la femme le naturel par cent réserves, par une dissimulation que de profonds philosophes découvrent ensuite sous le nom d’instinct féminin. Quand je lui ai dit : — Vous me cherchiez ? c’est presque naïvement qu’elle m’a répondu :

— Non, j’étais venue là me promener un peu. Je vous croyais du côté de l’avenue.

Je lui ai pris les mains et l’ai regardée dans les yeux avec reproche ; elle a beaucoup rougi.

— Pourquoi craignez-vous de me rendre trop heureux ? lui ai-je demandé. Ne m’avez-vous pas dit que vous m’aimiez ? Eh bien, il faut l’avouer toujours, à tout pro-