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bestiale. Ils vous saluent humblement, ou vous regardent passer d’un air hébété. Entre les poulains gracieux et éveillés qui accourent pour vous voir au bord de la route, et le petit berger stupéfait et les bras pendants qui vous regarde, sans même répondre à votre bonjour, le choix n’est pas douteux, mais il est humiliant. Je te le dirai tout bas, de peur de contrarier l’éloge officiel du peuple français, il me paraît y avoir encore dans ces paysans plus du serf que du citoyen.

Comme je revenais, j’atteignis une pauvre femme qui marchait courbée sous un fagot d’herbes, une faucille à la main ; elle me regarda curieusement, nous nous dîmes bonjour, et je lui demandai où elle allait ? Elle venait d’un champ voisin et se rendait à l’étable de sa chèvre ; elle avait fait cela la veille ; elle ferait de même le lendemain, et dans ce visage flétri, je ne vis rien au delà. Les herbes coupées qu’elle portait, la plupart fleuries, se penchaient avec une grâce languissante ; mais elle, ce n’était que grossièreté, laideur, écrasement de tout. J’essayai de la faire parler ; ce fut une longue plainte : la vie dure, le mari brutal, les enfants ingrats. Puis, tout ce qu’elle avait pu faire cette année avait manqué, blé, chanvre, légumes. Il n’y avait que la chèvre et les poules qui donnassent quelque chose, mais c’était peu ; et les poules encore, à cause des gens riches et de leurs raisins (elle me lança un coup d’œil oblique), elle ne savait où les mettre — car les pauvres ont beau faire ; ils ne peuvent réussir à rien.

Je lui donnai quelque monnaie, et cette munificence qui parut l’étonner réveilla pourtant dans son œil terne