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fasse, la base de tout jugement, le mot privilège a toujours eu le son faux, le sens d’injustice. Le privilège a toujours été l’immoralité ; mais de plus en plus il se sent l’être et est reconnu tel. Que faire dans ce danger ? sinon parler morale, en parler beaucoup, s’en faire le professeur et l’arbitre. — C’est ce qu’ils font tous. Et de plus en plus avec un art effrayant, qu’à la fois rend plus raffiné la peur, et plus audacieux leur nouvel appui : l’ignorance des masses.

Il y a toujours eu des discours bien sentis, prononcés du haut des trônes ; mais autrefois, du moins, jusqu’à un certain point, l’orateur y croyait lui-même, ce qui n’est plus possible aujourd’hui. Or, plus manque la sincérité, plus interviennent l’ordre, la morale, la Providence. Napoléon iii, au lendemain de son crime, arrive, en ce genre, à des chefs-d’œuvre. Il avait à faire cette chose difficile de parler en même temps à deux publics différents : les béats campagnards, qui le prenaient pour Messie, et les lettrés, qui, soit ennemis, soit complices, le connaissaient. Et il accomplit cette heureuse fusion de l’hypocrisie et du cynisme, qui méritait de faire école, et sert maintenant de modèle à ses successeurs.

En parcourant ces sortes de discours, on pourrait observer comment plus le crime grandit, plus le ton s’élève ; comment plus l’assassin égorge, plus il s’indigne contre l’égorgé ; que plus il trahit, plus il prend à témoin la sainte vérité ; que plus il se vautre, et abuse des caisses publiques, plus son front serein dépasse les nuages. Quand la capitulation est déjà prête, au lendemain du 22 janvier, Jules Ferry s’écrie : Un crime odieux a été commis !… et les hommes, les pères de famille tombés