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d’idées subversives, et dont le changement — ils voulurent bien ne pas parler de destitution — serait une satisfaction donnée à l’opinion publique. M. Favrart essaya vainement de conjurer l’orage. D’odieuses insinuations le réduisirent au silence. Mme Favrart elle-même prit une attitude pénible pour Sidonie.

À cette occasion, se produisit un certain phénomène moral : bien que l’institutrice fût généralement estimée et qu’on blâmât le maire de son animosité, dès que ce changement fut sur le tapis, la plupart le désirèrent secrètement, ceux même qui plaignaient et soutenaient Sidonie.

Le caractère humain recèle un besoin de spectacle, de nouveauté, d’émotion, qui a ses férocités secrètes. Les grandes villes l’assouvissent jusqu’à le blaser ; les campagnes l’affament jusqu’à la fureur. Là, tout accident, par cela qu’il prête aux émotions, gloses et commentaires, porte avec lui ses consolations. Il tend les ressorts qui souffrent de se rouiller ; il donne l’essor à cette éternelle courrière, l’âme humaine. Ces petites localités, contre l’esprit desquelles on proteste, non sans cause, sont des sortes de marais où, comme ailleurs, la corruption naît de la stagnation. L’ordre nouveau qui y portera la circulation, les courants de la vie intellectuelle, en élèvera du même coup le niveau moral à de subites hauteurs.

Une institutrice nouvelle à Boisvalliers ! Quel appât pour les imaginations ! On en vivrait au moins une quinzaine, un mois ! Le départ même de Sidonie était une autre source d’émotions et de préoccupations. Eût-on dû la pleurer, il aurait eu ses charmes ; car on n’a pas occasion de verser des larmes tous les jours.