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Feuilleton de la République française
du 12 janvier 1872

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LES FILLES PAUVRES

L’INSTITUTRICE[1]


Sidonie fondit en larmes après leur départ, elle se sentait profondément humiliée, et, pour la première fois, déchargea son cœur en présence de M. Favrart. Quoi ! pour ce morceau de pain, payé par tant de travail, on venait encore lui prendre sa volonté, sa dignité, son indépendance ! Ouvrière, elle eût moins souffert.

Le capitaine était vivement ému. Ses yeux se rougirent et sa moustache grise trembla.

— Pauvre enfant ! pauvre enfant ! répétait-il. Dans les consolations qu’il essaya de donner, il mit à découvert sa philosophie. C’était celle des vieux initiés. Il convenait que le monde était absurde ; pour lui, la vérité consistait dans l’égalité, la fraternité des hommes, dans l’essor des penchants naturels du cœur ; mais la réalisation en était impossible, à cause des passions vulgaires et aveugles de la masse humaine. Les sages seuls pouvaient vivre par la pensée dans ce monde idéal entrevu par eux et s’y faire une retraite à part de la vie réelle.

L’institutrice écoutait et ses larmes s’étaient arrêtées.

— Pourquoi ne pas essayer de réaliser ces vérités dans la vie ? demanda-t-elle.

— C’est impossible. L’ambition des rois,

  1. Voir la République française depuis le 26 décembre 1871.