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— Eh ! eh ! reprit le gros paysan, un joli voyage, en si gentille compagnie.

Le retour de Sidonie les fit taire. Ils déplièrent leurs bulletins et expliquèrent le but de leur visite. Le rouge monta au visage de la jeune fille.

— Moi ! s’écria-t-elle : moi ! mais cela ne me regarde pas.

— Vous êtes payée par le gouvernement, dit brutalement le maire. Vous devez le servir comme les autres.

— Puisque les femmes ne votent pas, dit-elle…

— Si leur sexe leur refuse le droit d’avoir une opinion, répliqua le curé, il leur impose le devoir d’obéir.

— Monsieur, s’écria la jeune fille blessée, quand j’ai reçu mon diplôme et mes instructions, je ne me suis engagée à rien de semblable.

— Laissez donc, dit M. Favrart, votre duc ou un autre, la belle affaire ! Mlle Jacquillat est dans son droit de ne pas se mêler de ces choses-là.

— Je doute que mademoiselle serve ainsi ses intérêts, observa le prêtre.

Le maire s’emporta grossièrement.

Le droit n’est rien encore en face du pouvoir, et l’institutrice comprit qu’elle se perdait. Elle prit donc les bulletins, presque en pleurant, et promit de les remettre aux gens désignés, en faisant valoir les promesses de M. le duc pour le village. Car, en tout ceci, ouvertement, il n’était question que d’intérêts matériels, et le gros maire y allait si naïvement qu’on l’eut étonné de lui parler d’autre chose.

ANDRÉ LÉO

(À suivre)