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Feuilleton de la République française
du 10 janvier 1872

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LES FILLES PAUVRES

L’INSTITUTRICE[1]


Le capitaine souffrait malgré tout de sa solitude ; cette élève le charma ; il s’empara d’elle, heureux de lui voir accepter ses leçons, que Léontine avait toujours refusées. Et bien qu’il n’y eut jamais entre eux aucun épanchement personnel, et qu’ils s’entretinssent uniquement des lois et des secrets de la nature, en peu de temps l’amitié mêla son charme à leurs travaux.

La douceur de ce sentiment, la confiance qu’il donne à l’âme et les saines joies de l’étude furent d’un grand secours à Sidonie : elles la relevèrent. Au fond, elle garda sa mélancolie, mais se prêta plus facilement aux impressions extérieures. À la surface, du moins, elle oublia, sourit, vécut, de l’existence commune. Par moments seulement, en considérant l’avenir qui se déroulait devant elle, semblable à une route aride et nue, elle frémissait de toute sa vie et tombait dans une crise de révolte et de douleur.

Deux ans après le mariage d’Ernest Moreau, une émotion nouvelle l’agita. Un jeune avocat, en vacances à Boisvalliers,

  1. Voir la République française depuis le 26 décembre 1871.