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vernal en attendant l’aube printanière ; elle pénétra par la trouée de la haie dans le sentier, et se dirigeant vers la haute rangée des peupliers, qui maintenant profilaient sur le ciel leurs branches grêles et nues, elle prit à leurs pieds le sentier qui menait au lavoir des Moreau, cahute en planches destinée à abriter les laveuses, du froid et de la pluie. Au-dessus de sa tête, le branchage des peupliers faisait entendre un murmure sec, bien différent de ce doux chuchotement des baisers de l’air dans les feuilles, l’été. L’eau glacée, pâle sous le ciel gris, frémissait à peine. Au milieu de ces langueurs et de cette froidure, la jeune fille marchait d’un pas haut, léger, le cœur chaud, les yeux riants des visions que son imagination faisait éclore autour d’elle, et sentant à peine l’air glacial qui l’enveloppait, tant la vie, le travail, l’espoir, activaient le sang dans ses veines. Elle n’avait pas peur ; elle y songeait seulement, l’oreille inquiète, avec une sorte de curiosité demi-railleuse, et demi-effarouchée. Arrivée à quelques pas du lavoir, elle s’arrêta. Le croissant de la lune, qui se montrait entre deux peupliers, jetait une lueur sur le toit, et brillantait la paille étalée sur le bord de l’eau ; mais l’ouverture obliquement béante du lavoir semblait un nid de ténèbres, ces alliés bien connus du mal. Sidonie hésita. Cependant c’était à ce lavoir seulement et sur la boîte disposée pour recevoir les genoux de la laveuse, qu’elle pouvait facilement atteindre l’eau ; elle entra donc d’un pas résolu, mais aussitôt, ébranlée dans tout son être, elle jeta un cri terrible. Elle venait de sentir dans ces ténèbres l’impression d’un être inconnu ; un mouve-