Page:Leo - L Institutrice.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me parler qu’avec la permission de ses parents.

Elle patienta, non sans mélancolie ; toutefois, ce rêve qu’elle portait en elle la nourrissait pour ainsi dire moralement, donnait pâture et satisfaction aux aspirations naturelles de la jeunesse.

L’hiver était venu ; les passagères distractions avaient cessé. Boisvalliers avait repris son calme ordinaire, et les jours s’écoulaient semblables, remplis aux mêmes heures par les mêmes faits, froids, automatiques sur ce rêve d’amour, qui palpitait sous leur uniformité comme l’eau courante sous la glace. La veille de Noël, au soir, Sidonie eut à faire un savonnage de linge fin. Elle venait d’achever en hâte un col et des manches brodées qu’elle voulait porter le lendemain, selon l’usage de province d’arborer aux grandes fêtes quelque toilette nouvelle. Elle n’avait pu terminer plus tôt ; mais elle devait se lever de grand matin, afin d’empeser et repasser ce col et ces manches. Le jour de Noël ! C’était un péché pourtant. Mais, entre la nature et le catholicisme, quand on a choisi jusqu’à donner son cœur à l’amour d’une créature, on est déjà en grande voie de perdition. Sidonie au fond n’en était fâchée qu’en songeant qu’elle serait obligée de s’en confesser.

Quand elle eut fini de savonner, il était près de neuf heures. Elle n’avait pas assez d’eau à la maison pour rincer ce linge suffisamment ; jetant sur ses épaules un petit châle, elle courut à la rivière. Le croissant de la lune jetait une faible clarté. Sidonie traversa le jardin silencieux et dépouillé, qui dormait de son sommeil hi-