M. Urchin avait les avantages du rang et de la fortune, mais non de la jeunesse. En outre, il habitait assez loin de Boisvalliers et y venait rarement. Tout être se tourne vers sa destinée. La femme, la jeune fille surtout, n’a, selon nos usages, que l’amour. Un chimiste capable d’analyser les pensées eût trouvé l’image indécise du bel Ernest au fond des préoccupations de la rêveuse Sidonie, comme de la railleuse Léontine. Elles ne se promenaient guère sans songer à le rencontrer et ne le rencontraient jamais sans autant de plaisir réel que d’indifférence affectée. Était-ce attrait de l’imagination ou penchant du cœur ? Qui le sait, quand la femme elle-même l’ignore ? Nos mœurs l’obligent à confondre tout cela.
Ensemble, elles sortirent du jardin, un soir, par une ouverture de la haie, qui donnait dans le sentier. Là, elles prirent l’une et l’autre un air indécis ; mais sur ce point, il n’y avait à choisir qu’entre le village et les prés. Or, les fumiers du village, émouvés par le soleil, sentaient mauvais, tandis que dans les prés, semés de serpolet et de sauge, boutonnaient déjà les marguerites ; elles allèrent donc ainsi jusqu’à la rivière. Ce n’était pas, à bien prendre, risquer de rencontrer les Moreau, dont la maison était assez loin de là, sur la droite, séparée des prés par un chemin. Elles prirent à gauche. La rivière fait un coude à cet endroit, le long d’une allée de peupliers, conduisant au village voisin. Le soleil couchant éclairait ces peupliers, faisant reluire leurs feuilles encore toutes jaunes au sortir du bourgeon ; au bas de la berge, on voyait de petites boules jaunes, pâteuses, armées d’un bec noir, la veille encore habi-