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se disposait à redescendre au village, quand elle entendit des voix monter le chemin et vit bientôt paraître une femme richement vêtue, donnant le bras à un jeune homme. Ils causaient sans la voir ; la dame s’appuyait languissamment sur son compagnon, et ils échangeaient de tendres regards. Cette situation révélait au premier coup d’œil une anomalie : le jeune homme n’avait guère plus de vingt ans ; la dame, à cette distance même, en avait certainement plus de trente ; elle était élégante autant que belle ; mais sa taille et sa démarche étaient empreintes de maturité. Les aventures étaient si rares dans la vie de Mlle Jacquillat que cette vue la troubla un peu.

Elle pensa que ce devait être la nouvelle propriétaire du château, Mme la comtesse Berthe de Néris.

Depuis un an, c’est-à-dire depuis qu’elle avait acheté cette terre, et fait réparer avec luxe le vieux château, il n’était bruit que de cette dame au village de Rochelande. On en disait à la fois beaucoup de bien et de mal. On disait — ces indiscrétions étaient venues de la ville voisine — que cette dame n’était ni comtesse, ni veuve, ni mariée, mais une femme galante, qui tenait sa fortune de ses amants, et qui, maintenant sur le retour, en avait encore, mais comme protégés, et non plus comme protecteurs. Cependant, elle paraissait être fort riche ; ses domestiques, s’ils souriaient un peu en parlant d’elle, ne s’en plaignaient pas, et, depuis quelques semaines seulement qu’elle habitait le château, elle avait déjà distribué, à droite et à gauche, assez de pièces de cinq francs pour conquérir le respect et l’admi-