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chez les natures les plus remuantes, c’était chez les tapageuses que le plaisir d’apprendre était le plus vif, et constituait par conséquent le frein le plus sûr. Les flegmatiques, si elles offraient moins de ressources, présentaient aussi moins de dangers. La nature a son équilibre, nous n’en doutons que pour l’avoir dérangé.

Maintenant, l’aspect de la vie avait changé pour Sidonie comme pour ses écolières. Celles-ci avaient passé de l’enfer de l’enfance, qui est l’immobilité et la compression, dans le paradis d’une activité joyeuse, d’une expansion normale et rapide. Elles devenaient bonnes en étant heureuses. Elles aimaient leur institutrice, et chez quelques-unes cet attachement devenait un culte. Quant à Sidonie, elle avait déjà trop souffert et trop de lacunes restaient dans sa vie pour qu’une profonde mélancolie ne se mêlât point à ses impressions les plus douces. Mais elle avait un but maintenant, elle ne se voyait plus inutile ; c’était un grand secours ; chaque jour, elle s’attachait à sa tâche par des liens plus profonds. Elle aimait ses écolières, non plus de cet amour exclusif et passionné que lui avait inspiré Rachel, mais d’une affection plus intellectuelle, à la fois plus vague et plus élevée. Elle arrivait peu à peu, par détachement personnel, à une sorte de tristesse contemplative et sereine, qui avait ses charmes et sa douceur. Parfois elle se reprochait d’oublier un peu Rachel. Cette maternité lui était si chère, qu’elle la voulait garder, à défaut de joie, comme une douleur. Et cependant, malgré elle, occupée de ses travaux, des progrès de ses élèves, au milieu des preuves naïves de leur affection et de