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sa créature ? Être seul, égoïsme immense qui veut le retour à lui de tout ce qu’il a créé… Lui aussi donc ambitionne l’amour ? Et ce besoin d’être aimé existe en lui comme chez tout humain ?

Des rires étouffés, partant de tous les coins de la salle, vinrent à ce moment frapper l’institutrice, et changer le cours de ses pensées. Son cœur, déjà si gonflé, bondit sous ce choc hostile, et elle lança deux ou trois punitions sur les nez les plus en l’air. Le silence reprit et la lecture continua. Cette fois, Sidonie resta attentive. À l’excitation des figures, à l’éveil des attitudes, aux rires muets, convulsifs qui agitaient la face de la plupart des enfants, elle devinait plus qu’un incident passager. Elle écouta donc, tout en feignant d’être absorbée comme auparavant, et bientôt elle entendit la lectrice, une des plus grandes, sans rien changer à son ton monotone, passer d’une phrase sur les devoirs des rois envers leurs peuples à celle-ci : Bah ! ça m’embête, et moi, j’aime mieux la crème et la gaieté que tout ça ; allons-nous en gambader dans le pré, en laissant Mlle Rabat-la-joie à ses songeries. Peut-être bien qu’elle rêve un mari. Je lui en souhaite, quoiqu’elle soit trop vieille. Ainsi soit-il.

Ce fut une explosion. Les enfants s’abattirent sur leurs pupitres en se cachant la figure de leurs mains, et, malgré leurs efforts, le rire bondit de toutes parts, allant, revenant, s’apaisant, recommençant, partant, ici en fusées, là par éclats contenus, et semblables à des sanglots.

(À suivre)

ANDRÉ LÉO