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Feuilleton de la République française
du 23 janvier 1872

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LES FILLES PAUVRES

L’INSTITUTRICE[1]


Sidonie avait vu sa jeunesse, année par année, s’écouler dans la solitude ; elle avait pleuré ces joies de l’amour qui devaient lui rester à jamais inconnues, et maintenant, quand elle demandait seulement à se consacrer au bonheur, au développement d’une autre, — elle, qui n’avait pas eu sa part de bonheur, — quand elle n’aspirait qu’à ces joies désintéressées, qui sont la dette de l’être parvenu à la plénitude de la vie, quand elle demandait à pouvoir donner ce qu’elle n’avait pas reçu, cela encore lui était refusé. Il n’y avait point d’enfant qui fût à elle ; n’ayant point été aimée, elle ne pouvait pas aimer ; parce qu’elle n’avait pas été heureuse, il ne lui était pas permis d’être utile. Du moins pensait-elle ainsi.

L’abattement s’empara d’elle, un mortel ennui, le dégoût de l’existence. Elle eût

  1. Voir la République française depuis le 26 décembre 1871.