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Mais tout cela se pouvait supporter encore, tant que le cœur de l’enfant lui restait fidèle. Il était permis de rêver une réunion, par suite de telles ou de telles circonstances, et Sidonie ne s’en faisait faute. Si faible que soit l’espérance, tant qu’elle subsiste, c’est le souffle de vie qui lutte contre la mort. Mais, en voyant Rachel, de plus en plus envahie par son milieu, perdre le souvenir des douces années dues à l’amour de sa mère adoptive, et se détacher, dans son égoïsme d’enfant, d’une tendresse désormais impuissante, Sidonie crut sentir aussi se détacher tout lien entre elle et ce monde humain qui la repoussait de toutes ses joies. Quel intérêt y avait-elle ? Quoi ! pour tout objet, pour toute destinée, vivre !… de pain !… Et c’était pour cela que depuis l’âge adulte elle luttait !

C’était là le but de tout son travail, de toutes ses heures ! Et tant d’énergies soulevées en elle n’aboutissaient qu’à cela ! Elle était née semblable aux autres pourtant. Elle portait en elle aussi toute la destinée humaine. Elle voulait, elle devait aimer. Elle avait besoin, elle aussi, d’êtres qui fussent les siens ; il lui fallait une œuvre à elle en ce monde ! Elle n’était pas une plante qui végète — et qui pourtant fructifie — mais l’être en qui se résument toutes les énergies de l’univers. Oh ! de quel droit, par quel pouvoir étrange et funeste se trouvait-elle ainsi détournée de son but, privée de sa part, écrasée sous les pieds de tant d’autres, qui jouissaient tranquillement des biens à elle refusés ?

(À suivre)

ANDRÉ LÉO