frappa sa mère et M. Moreau, qui voulut absolument les reconduire dans son char à bancs jusque chez elles.
Ainsi donc, il ne l’avait pas même aimée autrefois ! Ce rêve si triste, où pourtant elle puisait des joies secrètes, n’avait pas même le peu de réalité que possèdent ces embryons du fait : les velléités du cœur, de la pensée ! Il n’y aurait eu dans sa vie de jeune fille déjà écoulée, pas une heure d’amour, même si incomplet ! Il n’y restait plus que le souvenir d’un outrage. Sur sa jeunesse aride, pas un souffle de printemps, pas une rosée. Ni poëme, ni bonheur : néant. Elle regretta cet abandon supposé, dont cependant elle avait tant souffert, et la sécheresse de sa vie lui fut encore plus amère qu’une trahison.
De tous côtés quelle ruine ! La religion, l’idole, tout avait croulé. Dans cet homme alourdi et déjà replié sur lui-même, pouvait-elle retrouver l’objet idéalisé de son culte ? Cet Ernest qui, dans son âme à elle, au contraire, avait grandi, qu’elle y avait orné de nouvelles vertus et de nouveaux charmes, il était bon, oui, de cette molle bonté qui tout en aimant le bien, ne sait pas empêcher le mal. On trouvait en lui le père, elle ne pouvait retrouver l’amant. Tout cela était mort, plus que mort, n’ayant jamais vécu. Elle éprouvait l’horrible souffrance du vide moral dans sa vie. Il lui semblait n’avoir plus de cœur ; elle eût voulu pleurer, mais elle n’avait pas de larmes, et restait l’œil fixe, attaché sur le désert de sa vie, se disant : Pas même un regret ! Pas même un malheur !
(À suivre)