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duisaient le masque un peu lourd de son père ; l’expression de cette petite physionomie triste, intelligente et sauvage, effaçait la ressemblance par moments.

— Voici mon mari, dit Mme Ernest, en entendant un pas dans le corridor.

Un tremblement intérieur saisit Sidonie.

— Papa ! cria la petite Rachel, en courant au-devant de son père, qui, sur le seuil, la reçut et l’embrassa.

Il semblait prévenu de la visite des dames Jacquillat, et les accueillit avec sa rondeur accoutumée.

— Oh ! mademoiselle Sidonie, qu’il y a du temps que nous nous sommes vus ! Cinq ans pour le moins ! Eh bien ! ma foi, je vous trouve toujours la même, un peu maigrie seulement. Vous ne me direz pas la même chose, à moi ?

Elle ne sut que répondre ; un nuage couvrait ses yeux.

Quand, un peu remise, elle l’envisagea enfin clairement, ce lui fut une impression nouvelle, mais vive, mais horriblement pénible. Elle ne le reconnaissait plus. Cet homme de trente ans à peine s’était épaissi, avachi, n’avait gardé aucune des grâces et des élégances de la jeunesse. Au sein d’une vie de torpeur intellectuelle, sa constitution paysanne, gorgée de bien-être et privée de travail, s’était épanouie jusqu’à l’épatement. Ses joues grasses bouffissaient le bas de son visage ; sa taille s’effondrait, sous les plis d’une blouse, dans l’ampleur déjà remarquable du ventre ; ses vêtements exhalaient une forte odeur de tabac et ses souliers ferrés puaient le fumier. Seulement, il avait toujours cet air bon enfant qui avait touché Sidonie. Elle baissa les