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demanda la main de Cécile, et, pour comble, M. Delfons, conduisant Rose, la vint placer en face de Lucien. Ce jour-là, pour la première fois, le collégien comprit les fureurs d’Oreste ; car il arrive toujours dans la vie un moment où l’utilité de l’éducation classique se fait sentir.

Marius pouvait bien être jaloux, car Lucien contemplait Rose avec l’enthousiasme combiné d’un artiste et d’un jeune homme. Le souvenir des jours passés où cette jeune fille, alors presque enfant, répondait à son amour, lui revenait plus vivant, plus enchanté que jamais, et se brouillait dans sa tête avec la réalité. Plus d’une fois, en figurant, il serra la main de Rose.

Elle baissait les yeux et ne le regardait pas. Il se dit que sans doute elle lui en voulait de son abandon ; cela devait être ; il le voulut croire et se promit de se justifier. Comment et par quelles promesses la voulait-il ramener à lui ? Mais c’étaient là des pensées gênantes, Lucien les écarta.

Il y avait dans ce jeune homme comme une double nature, l’une fantaisiste, prompte, fougueuse, qui errait souvent ; l’autre un fonds de droiture et de sincérité qui rappelait son père et qui, sommeillant en lui, ou se recueillant plutôt, se révélait tout à coup à l’occasion par des jugements élevés ou des résolutions généreuses.

Pour le moment, il était tout entier à l’enthousiasme de cette beauté, au charme de ces souvenirs. Il voulait interroger Rose, la faire parler, savoir quelle était l’âme que recouvrait cette belle forme. Lorsque, en entendant sonner neuf heures, elle