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Chacun prétend recevoir tout et ne donner rien. Quiproquo éternel, hymne de déception, chanté en discordance par toutes les voix humaines à la fois !

« Sais-tu, Cécile, ce qu’il y a de seul vrai, de seul grand, de seul profitable ? Oui, tu le sais ; mais moi je l’ignorais, et cela m’a frappé tout à l’heure comme un éclair en écoutant les propos insensés de ce vaniteux. C’est d’étendre sa vie hors de soi le plus possible, de sortir à tout prix de cette énervante personnalité qui change tout or en feuille sèche, de n’être pour soi-même que le point d’appui nécessaire à tout élan, et de puiser la vie là où elle se trouve, dans nos semblables et dans l’univers.

« Cet imbécile, qui prétend se mettre au front la couronne du génie ; pourquoi ? l’entends-tu ? De l’or ! les biens de la terre ! le monde à ses pieds ! Et pour cela il repousse du pied un humble cœur qui est à lui ! Tout son but, c’est lui, lui seul ! une vanité satisfaite… Avec cela que peut-il jamais faire de grand ? Son prétendu génie n’est et ne sera jamais qu’un avorton. »

Lucien alors, penchant la tête sur sa main, se tut un moment. Puis, avec un sourire amer, et dans les yeux l’éclat d’une honnêteté qui se repent et s’accuse, il reprit :

« Si je raille ainsi Patrice, c’est qu’il m’a présenté en lui ma propre caricature, oui, la mienne et celle de tous les égoïstes qui poursuivent par des voies diverses la centralisation du petit point où ils sont blottis. Moi aussi j’ai rêvé la gloire ; et